5 jours d’expédition dans le parc Auyuittuq
J’avais envie de solitude, de vide, de quelque chose d’un peu plus grand que moi.
Alors j’ai pris un billet pour Pangnirtung, dans le sud de l’île de Baffin. Là-bas se trouve le parc Auyuittuq, « la terre qui ne fond jamais ». Au cœur du parc, le col Akshayuk trace une vallée glacée entre des sommets de légende — Thor, Asgard, Overlord… Un passage qui relie glaciers, fjords et rivières prises par le froid.
6 mois plus tôt, je posais mes valises à Iqaluit, dans le Nunavut. Une nouvelle aventure, dans une région isolé à la riche culture.
J’ai découvert petit à petit un mode de vie en lien avec la nature et l’environnement du nord. Rapidement j’ai eu envie d’aller explorer la toundra, que l’ont voie à l’infini. En course à pied, en raquette, en ski, en chien de traineau, j’ai passé tout l’hiver à essayer des nouvelles choses, à m’acclimater au froid, à tester de l’équipement. J’ai beaucoup appris des personnes que je rencontrais, donc Louis-Philip (Inukpak) et Benoit (whitebear). Petit à petit, l’idée d’aller faire une expédition dans le parc Auyuittuq grandissait.


Après voir passé une nuit en tête dans le parc Sylvia Grinnel pendant une tempête, et une rencontre avec LP et Benoit pour checker mon matériel, c’est l’heure du départ. Il me restait plus que préparer mon traineau avec Benoit. Installation de patins et un système de corde pour le tirer avec mon sac à dos. L’expérience et les conseils précieux de mes amis étaient primordial. Pour la nourriture, ce sera repas lyophilisé le soir, des barres que je coupe en petit morceau pour le midi. Et des petits gateau bien caloriques. Du sirop d’érable aussi, ca ne gèle pas. Du jerky de boeuf. Du gruau pour le matin, et beaucoup de chocolat chaud et café instantané. Pas évident de préparer de la nourriture qui ne gèlera pas. Tout mon matériel (tente, nourriture, réchaud, carburant, sac de couchage, matelas, etc.) sera dans ma pulka, qui pèse 35kg une fois chargée.
Mon plan : cinq jours seul, en totale autonomie pour traverser une partie du parc. Dormir sous la tente, manger lyophilisé, tirer, marcher, recommencer. Pas d’objectif précis, juste avancer, et voir ce que ce bout d’Arctique avait à m’offrir.
Au moment de prendre l’avion pour Pangnirtung, je ressent une excitation particulière. Le stress de la période de préparation est fini. Arrivé au Auyuittuq Lodge, j’étale tout mon matériel dans ma petite chambre pour un dernier check. Je passe ensuite au bureau de Parc Canada pour une session d’orientation avec un ranger — l’occasion de visionner une vieille mais instructive vidéo sur la sécurité en territoire d’ours polaires.




Jour 1 : Overlord > Thor
8h du matin. Je retrouve Peter devant le bureau du hameau de Pangnirtung. On échange quelques mots, on charge ma pulka derrière son skidoo, je monte dans son kamutik et c’est parti. Direction l’entrée du parc.
Il fait beau, mais froid. On trace à travers la vallée, entourés de montagnes enneigées. Après une petite pause, Peter me dit : « There’s a family of seven just in the corner ». Je sors direct mon appareil photo, prêt à capturer des caribous. Je regarde partout… avant de réaliser qu’il parlait d’une vraie famille. Des humains. Bref.
On arrive au parc 45 minutes plus tard. Pas de portail ou de signe de bienvenue. Juste un immense décor blanc. Peter me regarde : « See you in 5 days », puis il repart. Et là je me retrouve seul, au milieu de nulle part. Un moment étrange ou je suis complètement laissé à moi meme. Mais c’est ca que je recherchais après tout.
Je commence à marcher. Les montagnes autour sont incroyables, gigantesques. Je fais dix kilomètres jusqu’au panneau du cercle arctique, un inukshuk avec une pancarte plantée dans la neige. Il est 12h30. Je m’arrête quelques minutes le temps de manger une barre Naak, un bout de gâteau aux amandes et un pop tart. Des que je m’arrête, le froid s’infiltre partout. Je me rend compte qu’il n’y a pas de transition entre chaud et froid. C’est immédiat à -20 degrés!
Il fait grand soleil, pas un nuage. Je reprend la route rapidement après Windy Lake. J’arrive au pied du mont Thor vers 17h après une vingtaine de kms. Je pose mon camp face à la majesté imposante du mont Thor. La plus haute paroi rocheuse verticale de la planète. Qaiqsualuk, c’est le nom donné au mont Thor par les Inuits : la grande roche. J’aime la toponymie que donnent les gens qui habitent ce territoire depuis toujours. C'est descriptif, simple et utilitaire.
Riz au curry pour le souper, puis chocolat chaud. Un silence parfait, ininterrompu.
Il est 21h. Je vais pas tarder à dormir, mais je reste un peu dehors, au cas où les aurores boréales se pointent.









Jour 2 – Thor > Glacier Lake > Summit Lake
Réveil vers 7h. Il y a du vent, beaucoup de vent. Je reçois un message de Sydney sur mon InReach : High winds, be careful. Pas super rassurant. J’enfile mes couches, je démonte la tente, et je commence à marcher.
Le vent me frappe en plein visage dès les premiers pas. La montée vers Summit Lake est longue et rude. Je tire la pulka comme je peux sur la glace, entre les roches. J’avance très lentement, un pas devant l’autre. Je mets presque 4 heures à faire 8 km.
En arrivant à Summit Lake, je tombe pile sur un autre groupe. Ils viennent de Qikiqtarjuaq, c’est l’expé de Karavaniers. Je parle un peu avec les guides, Simon et JP — ils connaissent Louis-Philippe. Je suis content de voir du monde.
Je monte sur les hauteurs pour manger à coté de la cabane d’urgence. Puis je laisse ma pulka et je repars léger, juste avec mon sac à dos. Direction Glacier Lake et, si possible, Asgard. Le vent de face est vraiment fort. Je suis couvert au maximum avec juste une ouverture pour mes yeux qui sont fixés au sol. Avec mes crampons, je m’enfonce à chaque pas. Il y a de plus en plus de neige et je commence à regretter d’avoir laissé mes raquettes au shelter.
Je veux au moins apercevoir Asgard. Mais au bout de 9 km, en arrivant au début de Glacier Lake, je dois me rendre à l’évidence : je suis presque à court d’eau, j’ai pas pris de nourriture, le vent me ralentit, et j’ai plus beaucoup d’énergie. Je vois Asgard de côté, au loin, puis je fais demi-tour.
Retour à Summit Lake, épuisé après une grosse journée de 28km. Je me fais une grosse portion de lasagnes lyophilisées, et je m’installe dans le shelter. Il fait très froid ce soir, je décide d’installer mon matelas et sac de couchage dans la cabane d’urgence.
Vers 21h30, je me réveille. Je sors, et là… magie. Le ciel explose. Des aurores boréales incroyables, juste au-dessus des pics. Elles dansent tout autour. Je reste dehors une bonne demi-heure, à - 35 seul face au ciel. Incroyable!












Jour 3 – Summit Lake > Windy Lake
Je me réveille vers 7h30. Il fait encore froid, mais moins que la veille. Le froid pénétrant sur mon visage dès que j’ouvre la fermeture éclair de mon sac de couchage est saisissant.
Je remarque qu’un de mes doigts est un peu bleu. Je prends le temps de le réchauffer lentement dans mon gant. Rien de grave, mais je reste attentif. Tous les bouts des doigts font mal. Je commence à voir l’effet du froid sur mon corps.
Je mange direct un gros déjeuner : crumble à la pêche lyophilisé, full calories. Ça passe bien.
Je pars de Summit Lake vers 8h. Cette fois, le vent est dans le dos. La descente est abrupte et j’essaye de controler la pulka qui a tendance à me pousser dans les jambes. Je commence à comprendre comment la gérer, en la guidant devant moi.
Je repasse devant Thor. Toujours aussi massif. Pause lunch un peu plus loin.
En début d’après-midi, je croise trois motoneige qui remontent vers Qik. On discute un peu — de nos trajets, du froid, de la course de skidoo qui a eu lieu à Iqaluit le weekend dernier. Petit moment de connexion dans le vent, puis chacun reprend sa route.
J’arrive à Windy Lake vers 16h. J’installe ma tente sur le bord de la rivière. Petit message via InReach pour donner des nouvelles. Dîner simple, mais parfait : purée de patates et viande hachée. Un goût de France, ca fait du bien. J’essaie de boire beaucoup et rester bien hydraté pour résister au froid. Faire fondre la neige et remplir mes 2 gourdes devient un petit rituel chaque soir.
À 18h20, je recroise Jakoopie, qui faisait partie des 3 motoneiges, qui redescend depuis Summit Lake vers Pang. Un elder super sympa. Il a un vieux walkman vissé sur les oreilles, écoute du gospel à fond. Je lui demande combien de temps il lui reste. Il me dit :
« 1h30, but if I have a joint, I’ll be faster ». On rigole. Encore un petit moment absurde au milieu de nulle part.
La sécurité est essentielle sur un itinéraire aussi isolé. Chaque matin et chaque soir, j’envoie un message via mon InReach (appareil de communication par satellite) pour donner des nouvelles. Contre les ours, j’ai toujours dans mes poches des bear bangers, des fusées éclairantes et un spray. Chaque soir, je monte ma tente près d’une cabine d’urgence et je garde mon gros piolet en alu à portée de main — juste pour me rassurer. Avant d’installer le camp, je fais toujours un tour à pied, sur une centaine de mètres autour, pour m’assurer qu’aucune trace n’est visible.





Jour 4 – Windy Lake > Overloard
Réveil un peu plus lent ce matin. Les jambes sont lourdes. Chaque jour, le moment d’enfiler les bottes est compliqué : elles sont gelées, rigides, et mes pieds pleins d’ampoules peinent à glisser dedans. Mais bon faut y aller.
Dernière journée de marche, en repassant par les longues lignes droites au milieu de la rivière gelée. Après Crater Lake, je croise deux gars de Parc Canada : Peter (encore lui) et Matt, le ranger qui m’avait accueilli au bureau de Parc Canada. On discute un peu. Ils amènent deux personnes en motoneige jusqu’à la pancarte du cercle arctique. Je continue, et je finis par rattraper le groupe de 9 de Karavaniers. L’un d’eux a cassé son ski et galère à avancer. Ils me demandent si je peux lui prêter mes raquettes. Bien sûr. C’est ma dernière journée, j’en aurai plus besoin.
Le soir, je les retrouve tous au campement. Ils m’invitent à souper avec eux. On passe la soirée ensemble dans leur grand dôme chauffé. Ça fait drôle de retrouver un peu de chaleur, des voix, des visages, après ces jours en solo.
Dernière nuit. Elle sera compliquée. Ma tente est montée un peu en pente, sur une colline de neige, et il fait très froid. Vivre dans un tel froid est très usant!
Les batteries sont toutes presque déchargées. J’avais pris 3 batteries externe portable, et 3 batterie pour mon appareil photo. Mon matelas se dégonfle à toutes les 2 heures chaque nuit, pas moyen de le réparer. Ma pelle à neige est cassée , mes crampons sont fendus. Mon nez est brulé par le soleil.
Impossible de dormir vraiment. Mais je savoure ce dernier bout de silence avant le retour.
Demain c’est la fin. C’était court, mais intense, juste assez pour goûter à l’Arctique.
Auyuittuq, c’est un lieu qui t’impose un rythme, une attention, une humilité.
De retour à Pang, Peter me ramène en motoneige là où tout a commencé. Même décor, même silence, mais quelque chose a changé.
Le froid m’a laissé des traces. Dans les jambes, je sens encore le vent et le poids de la pulka. Dans la tête, les aurores, les parois figées et le silence.




La sécurité est essentielle sur un itinéraire aussi isolé. Chaque matin et chaque soir, j’envoie un message via mon InReach (appareil de communication par satellite) pour donner des nouvelles. Contre les ours, j’ai toujours dans mes poches des bear bangers, des fusées éclairantes et un spray. Chaque soir, je monte ma tente près d’une cabine d’urgence et je garde mon gros piolet en alu à portée de main — juste pour me rassurer. Et avant d’installer le camp, je fais toujours un tour à pied, sur une centaine de mètres autour, pour m’assurer de ne voir aucune trace.